June 13, 2019

Rapport d’évaluation technique émanant de l’ équipe d’ingénieurs faisant partie de la mission d’établissement des faits de l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques (OIAC), dans le cadre de son enquête sur une supposée attaque à l’arme chimique à Douma en Avril 2018.

Paul McKeigue, David Miller, Piers Robinson

Membres du groupe de travail sur la Syrie, la propagande et les médias

 

 

1 Introduction

Dans notre note-résumé sur le rapport final de la mission d’établissement des faits (FFM en anglais) de l’OIAC sur l’incident de Douma nous avons noté que cette mission a cherché à obtenir en octobre 2018 des évaluations de la part d’experts ingénieurs sur “la trajectoire et les dommages subis par les cylindres trouvés dans les emplacements 2 et 4”. Le rapport final ne fournit aucune explication pourquoi de telles évaluations n’avaient pas été commissionnées déjà en avril 2018, date à laquelle la mission a commencé ses travaux sur Douma, quand les experts pouvaient inspecter les lieux avec les cylindres en position, plutôt que six mois plus tard quand l’inspection des sites avec les cylindres en position n’était plus possible, l’évaluation devant alors se baser sur des images et des mesures réalisées par des tiers. Nous avions considéré ce fait comme une anomalie sérieuse.

Suite à cela, des membres du personnel de l’OIAC ont contacté notre groupe. Nous avons appris de ces contacts qu’une investigation commençant par une inspection des cylindres en position, suivie d’un rapport détaillé incluant des analyses d’ingénierie et des études en modélisation informatique impliquant une collaboration avec deux universités européennes, avait été commanditée en avril-mai 2018 par la mission de l’OIAC pour l’établissement des faits à Douma. La mention de ce rapport a été exclue du rapport final produite par l**’OIAC sur Douma** qui réfère seulement à des évaluations commissionnées en octobre 2018 et obtenues en décembre 2018, réalisées par des “experts-ingénieurs” non identifiés par l’OIAC.

Une copie de 15 pages représentant le résumé analytique de ce rapport, exclu du rapport final de l’OIAC, au titre “Évaluation technique des deux cylindres observés dans l’incident de Douma” nous a été communiquée et nos l’avons postée ici. Si vous postez un lien vers ce document, veuillez s’il vous plaît le télécharger et le partager via votre propre serveur pour ne pas encombrer le nôtre.

Nous sommes en train d’étudier ce rapport et nous encourageons d’autres, ayant des expertises pertinentes, à contribuer à cette étude. Vous trouvez dans ce qui suit nos premiers commentaires sur le rapport.

2 Commentaire sur l’évaluation technique de la mission d’établissement des faits de l’OIAC à Douma

Le rapport de cette évaluation est signé par Ian Henderson, qui est listé, dans un rapport daté de 1998, comme un des premiers chefs d’équipe menant des inspections de niveau P-5 et formés par l’OIAC. Nous avons pu confirmer que, comme expert ingénieur de la mission d’établissement des faits, Henderson a été assigné à superviser l’enquête sur les cylindres et leur supposé impact dans les emplacements 2 et 4. Nous comprenons que la note “TM” écrite à la main en annotation en marge du rapport réfère au Team Members (membres de l’équipe) de la mission d’établissement des faits.

En réponse à une requête datée du 10 mai 2019, le bureau de presse de l’OIAC affirmait que “ l’individu mentionné dans le rapport n’a jamais été membre de la mission d’établissement des faits (FFM)”. Cet énoncé est faux. L’équipe d’ingénieurs ne pouvait mener des études à Douma aux emplacements 2 et 4 à moins qu’elle n’ait été annoncée comme équipe d’experts de la mission d’établissement des faits par l’OIAC à l’autorité nationale syrienne supervisant la conformité à la Convention sur les Armes Chimiques: Il est peu probable que Henderson ait pu entrer en Syrie avec un visa de touriste, encore moins visiter Douma pour y examiner les cylindres.

Le bureau de presse de l’OIAC a aussi tenté de suggérer que le rapport d’ingénieurs qui ont visité Douma en avril-mai 2018 ne faisait pas partie de l’enquête de la mission d’établissement des faits (FFM). Cet énoncé est lui aussi faux. Le rapport fait mention de collaborateurs et consultants ‘externes’: nous comprenons que deux universités européennes sont parmi ces collaborateurs et consultants. Cette collaboration ‘externe’ sur une question aussi sensible n’aurait pas pu aller de l’avant à moins qu’ elle n’ait été autorisée: autrement, Henderson aurait été immédiatement renvoyé pour non respect de la confidentialité. Nous pouvons dès lors être certains que la préparation du rapport a reçu l’autorisation nécessaire au sein de l’OIAC. Ce qui est arrivé après que le rapport ait été écrit est une autre affaire.

2.1 Méthodologie

Nous avons insisté à maintes reprises qu’une évidence ne peut être évaluée qu’en comparant des hypothèses concurrentes. Ceci est un corollaire du principe de probabilité qui peut être dérivé des règles simples de la consistance logique.

Nous avons noté qu’une faiblesse majeure du rapport final de l’OIAC sur Douma est de ne pas considérer des hypothèses concurrentes. En conséquence, le rapport final énonce qu’il a été demandé aux “experts ingénieurs” de fournir des évaluations de la “trajectoire” de chacun des deux cylindres trouvés sur le site: ceci implique qu’on ne leur a pas demandé d’évaluer si les ouvertures dans le toit et les positions des cylindres peuvent être expliquées autrement que par largage.

Les experts de la sous équipe d’ingénieurs de la mission d’établissement des faits (FFM) ne font pas cette erreur: Les hypothèses concurrentes sont clairement présentées et mises de l’avant dans le rapport de leur évaluation technique.

  • Pour l’emplacement 2 (le cylindre sur le toit de la terrasse aplati au dessus d’un cratère), les hypothèses concurrentes sont énoncées comme suit:
  • (2-1) le cylindre contenant de la chlorine à l’état liquide a été largué d’un avion, il a percé le toit et formé un cratère, l’impact fracturant la valve et causant la diffusion de chlorine.
  • (2-2) le cylindre a été placé sur la terrasse près d’un cratère existant.
  • Pour l’emplacement 4 (le cylindre sur le lit), les hypothèses concurrentes sont énoncées comme suit:
  • (4-1) le cylindre enchâssé de son cadre et de ses ailerons a été largué par un avion, Il a percé le toit formant un cratère, est tombé à travers le cratère, sa trajectoire ayant dévié latéralement pour tomber sur le lit avec sa valve intacte.
  • (4-2) le cylindre enchâssé de son cadre et de ses ailerons, comme dans l’hypothèse (1), est tombé sur le sol en dessous du cratère et fut placé a posteriori sur le lit.
  • (4-3) le cylindre enchâssé de son cadre et de ses ailerons a été placé sur le lit, le cratère dans le toit a été créé (par des moyens non spécifiés) avant ou après que le cylindre ait été placé sur le lit.

2.2 Résultats: Emplacement 2 (cylindre sur le balcon)

  • Un angle d’impact d’approximativement 20 degrés à partir de la verticale “fut trouvé nécessaire pour que les résultats d’impact s’apparentent aux observations”
  • Même d’une hauteur minimale de 500 mètres, un bloc de béton n’aurait pas pu empêcher le cylindre de tomber à un tel angle. L’avant du cylindre ne montre aucun signe d’interaction avec le bloc de béton sur lequel il a été trouvé.
  • Si le cylindre avait été stoppé par les barres d’armature du béton, ceci aurait laissé des marques d’indentations sur le cylindre. Aucune marque de ce genre n’a été observée sur le cylindre.
  • La modélisation de l’impact du cylindre tombant n’a pu reproduire à des angles supérieurs à 90 degrés les torsions observées dans les barres de renforcement du béton, pour propulser le cylindre loin de l’impact. Les torsions observées dans les barres de renforcement du béton sont plutôt consistantes avec l’impact d’un explosif.
  • Les résultats des études de modélisation se résument dans la phrase suivante:

Tous les éléments cités auparavant pointent vers la conclusion suivante: lévénement du supposé impact ou les événements menant, dun côté, à lobservation de la déformation sur le cylindre et dun autre côté, à lobservation de la déformation du béton, ne sont pas compatibles.

Un pattern en croisé sur la peinture du corps du cylindre, attribué par certains observateurs au fait que le cylindre est tombé à travers le grillage du balcon n’est pas consistant avec la quasi-verticalité de l’angle d’incidence requis pour créer le cratère.

Les experts consultés pour évaluer l’apparence du cratère sont d’avis que cette apparence est plus consistante avec une explosion (d’un tour de mortier ou une fusée d’artillerie) qu’avec un impact résultant d’un objet largué. Des cratères similaires sur le béton ont été observés sur les toits des immeubles voisins.

Les restes difformes du cadre en acier et des ailerons trouvés sur le balcon ne sont pas consistants avec l’apparence du cylindre qui ne montre aucun signe d’avoir été équipé avec un tel cadre ou même que le cadre ait été détaché du cylindre suite à l’impact.

2.3 Résultats: Emplacement 4 (cylindre sur le lit)

  • L’analyse de l’emplacement 4, où le cylindre fut trouvé sur le lit, a montré que ce cylindre, à valve intacte et ailerons attachés, par sa dimension, n’aurait pas pu passer par le cratère sur le toit :

Il ne fut pas possible détablir un ensemble de circonstances, où le cylindre, déjà déformé, aurait pu passer par le cratère avec sa valve intacte (et ceci quil y eut un embout ou pas sur l’ extrémité avant du cylindre), avec les ailerons déformés comme observé.

2.4 Conclusions de l’évaluation

En résumé:

  • L’analyse de l’emplacement 4 montre que le cylindre, avec ailerons et valve attachées, ne pouvait tout simplement pas passer à travers le cratère.
  • L’analyse de l’emplacement 2 : la méthode d’analyse par éléments finis et la simulation par ordinateur étaient plus compliquées. Elles montrent que le béton n’aurait pas pu stopper le cylindre, que si le cylindre avait été stoppé par les barres d’armature, il y aurait eu des indentations sur le cylindre, et qu’un impact n’aurait pu plier les barres d’armature à plus de 90 degrés pour le passage du cylindre à travers le point d’impact.

Nous notons que plusieurs des anomalies rapportées par l’évaluation technique ont été identifiées indépendamment par les membres de notre groupe de travail, à travers d’images accessibles par sources ouvertes (open source): Ceci inclut l’impossibilité du passage du cylindre par le cratère à l’emplacement 2, la présence de cratères similaires dans les immeubles environnant l’emplacement 2 et l’incompatibilité du pattern en croisé sur la peinture du cylindre, avec une chute à travers le grillage du balcon.

Les résultats des analyses des deux emplacements sont résumés dans le paragraphe 32:

Les dimensions, caractéristiques, et apparences des cylindres, ainsi que de la scène entourant les incidents, étaient non consistants avec ce à quoi on pouvait sattendre dans le cas où les cylindres auraient été largués à partir dun avion. Dans chacun des deux cas, lhypothèse concurrente alternative a produit la seule explication plausible de ce qui a pu arriver.

3 Implications de l’évaluation technique lorsque combinée avec d’autres découvertes

La conclusion de l’évaluation technique est sans équivoque : L’hypothèse concurrente alternative que les cylindres ont été manuellement placés dans leurs emplacements est “la seule explication plausible de ce qui a été observé sur les lieux”.

Notre dernière note-résumé a listé aussi deux autres découvertes:

  • Ce qui a été filmé à l’hôpital, en relation avec cet incident, est une mise en scène, et ce fait n’est plus controversé : Il existe à cet effet plusieurs témoignages de personnes présentes et de l’évidence vidéo.
  • Le cas de fatalités rapportées à 100%, avec les victimes incapables de s’enfuir, ne s’apparente à aucune autre attaque au chlorine enregistrée auparavant.

Pris ensemble, ces résultats établissent, au delà du doute raisonnable, que la supposée attaque chimique à Douma le 7 avril 2018 fut une mise en scène.

Cela nous amène à poser la question: comment est ce que les victimes trouvées à l’emplacement 2 sont décédées? Les images montrent des marques d’atteintes aigues liées à l’inhalation, avec du sang et du mucus sortant du nez et de la bouche de la plupart des victimes. Même si les visages ont apparemment été lavés pour nettoyer le mucus, les peaux ont gardé leurs teintes jaunâtres.

Quelques semaines avant le dévoilement du rapport final de l’OIAC, deux journalistes ont semblé suggérerqu’il y avait eu une attaque chimique à Douma préliminaire à celle observée dans les emplacements 2 et 4, probablement dans une tentative de préparer une position arrière au cas où le rapport final allait conclure que les incidents dans les emplacements 2 et 4 avaient été mis en scène. Cela va sans dire que c’est une explication non plausible, pourquoi en effet transporter les corps des victimes vers les emplacements 2 et 4, qui sont clairement une mise en scène, plutôt que de montrer le vrai lieu de l’attaque?

Comme nous avons insisté plus haut, lors d’une attaque chimique réelle, au chlorine, ou tout autre gaz, la plupart des victimes essaient de s’enfuir, ceci résultant en des atteintes non létales, de loin beaucoup plus nombreuses que les atteintes létales, requérant des traitements médicaux et séjours prolongés à l’hôpital. Les images des victimes dans l’emplacement 2 montrent que ces victimes ont été exposées à un gaz irritant alors qu’elles étaient incapables de s’échapper. Un examen attentif de ces images laisse peu de doutes sur le fait que les victimes ont été tuées alors qu’elles étaient dans un état de captivité. Les traces laissées par le mucus sur les visages des victimes, s’écoulant des nez et des bouches, montrent, qu’au moins dans certains cas, le mucus a coulé le long des visages vers les yeux. Ceci implique que les victimes ont été pendues avec les têtes en bas alors qu’elles étaient exposées à l’agent toxique qui les a tuées. Bizarrement, les yeux de la plupart des victimes semblent avoir été masqués pour faire en sorte qu’ils ne soient pas affectés par le gaz ou le mucus. Chez quelques victimes, il y a des marques d’élastique autour des yeux indiquant possiblement l’utilisation de lunettes de protection. Un motif possible pour tout cela est de ne pas laisser voir que les victimes ont été exposées de manière prolongée à un gaz irritant.

Nous concluons que la mise en scène de l**’attaque de Douma** a nécessité l**’assassinat collectif de 35 civils pour fournir les corps pour l’emplacement 2**. Il résulte de ceci que les personnes habillées en tant que Casques Blancs, et supportées par le leadership de l’ organisation ont eu un rôle primordial dans ce meurtre collectif.

Nous notons que l’incident de Douma est le premier incident supposé à l’arme chimique en Syrie où les investigateurs de l’OIAC ont été capable de procéder à une étude du site sans encombres. Depuis 2014, les missions d’établissement des faits de l’OIAC enquêtant sur sur des attaques supposées à l’arme chimique dans des territoires contrôlés par l’opposition en Syrie s’étaient basées sur du matériel et des témoignages réalisées par des ONGs de provenance douteuse, incluant la force opérationnelle CBRN, le centre de documentation des violations à l’arme chimique en Syrie, et les Casques Blancs. Même pour l’attaque chimique à Ghouta en 2013, l’OIAC et l’OMS n’ont été capables de visiter le site que pendant quelques heures, sous la supervision rapprochée de l’opposition armée. Pour ceux qui, jusque maintenant, étaient tout à fait prêts à accepter les résultats des missions d’établissement des faits de l’OIAC en Syrie, sans accès ni inspection des sites d’attaques, la découverte, basée sur une inspection minutieuse du site, que l’incident de Douma a été mis en scène, devrait semer le doute dans leurs esprits sur les résultats et rapports des missions précédentes.

4 Le noyautage de l’OIAC

Dans notre dernière note-résumé, nous avons affirmé dans la conclusion qu’“on peut douter du fait que la réputation de l’OIAC, comme moniteur impartial de la conformité avec la convention sur les armes chimiques, puisse être rétablie sans réforme radicale de ses pratiques de travail et de sa gouvernance”. La nouvelle information que nous possédons enlève tout doute sur le fait que l’OIAC a été noyautée, au sommet, par la France, le Royaume-Uni et les États-Unis. Nous n’avons aucun doute que la majorité du personnel de cette organisation continue à faire son travail de manière intègre et professionnelle, et que certains parmi eux, étant soucieux de la réputation de leur organisation, souhaitent la protéger. Toutefois, ce qui est en jeu ici est beaucoup plus que la réputation de l’organisation: la mise en scène de l’incident de Douma a servi de prétexte aux puissances occidentales que sont les États-Unis-, le Royaume-Uni et la France, de conduire des frappes militaires sur la Syrie le 14 avril 2018 qui auraient pu provoquer une guerre généralisée.

Le fait de dissimuler que l’incident de Douma fût une mise en scène n’est pas seulement une simple affaire de mauvaise pratique professionnelle. Cette mise en scène a impliqué l’assassinat collectif de civils, et ceux qui, à l’OIAC, ont aidé à dissimuler le fait que Douma est une mise en scène ont été, sans le savoir ou pas, complices dans un meurtre collectif. Nous pensons que dans la plupart des juridictions, il y a une obligation légale de dévoiler un tel crime, et que cette obligation est au dessus de tout contrat avec l’employeur requérant le respect de la confidentialité. Nous encourageons des opinions légales sur cette question, formulées publiquement par ceux qui en ont l’expertise, à venir de l’avant. Les employés de l’OIAC doivent signer et respecter un accord de confidentialité, ou alors faire face à un licenciement immédiat avec perte de leur compensation de retraite. Nous encourageons toute initiative mettant en place un fonds pour la défense des employés de l’OIAC qui vont publiquement dénoncer les mauvaises pratiques de l’organisation.

5 Remerciements

Nous remercions ceux du personnel de l’OIAC qui ont pris un risque personnel énorme pour communiquer avec nous. Nous nous engageons à protéger l ‘identité de toute source qui communique avec nous. Les courriles peuvent être adressés à nos adresses protonmail, les courriels qui sont envoyés d’un autre compte protonmail (gratuit pour ouvrir un compte), sont sécurisés. Nous remercions aussi les autres investigateurs de Source Ouverte (Open Source) et les journalistes qui se sont publiquement exprimés pour questionner la ligne officielle sur l’incident de Douma, ce qui a créé le climat favorable pour les membres du personnel de l’OIAC d’entreprendre ce qu’ils ont fait pour mettre à jour la vérité.